J’avais initialement l’intention d’acheter un ouvrage sur la bataille de Shiloh qui m’avait été recommandé mais, en consultant les rayons de Waterstones, mon œil s’est arrêté sur une biographie de Lee. Depuis la lecture du volume de McPherson sur la guerre de sécession, j’avais toujours conservé l’idée de m’intéresser au personnage, sans que cela fût une priorité, donc j’ai saisi cette occasion.
L’ensemble se lit agréablement, avec un bon équilibre entre les mises en perspectives des événements de l’époque et la biographie elle-même. Les illustrations sont abondantes, tant photographies que tableaux et cartes. Ces dernières manquent parfois de lisibilité, ce que compense partiellement leur nombre.
Lee est présenté comme un homme d’une grande rectitude, dont la piété naturelle s’était encore accrue sous l’influence de sa femme, parfois sévère comme souvent à cette époque, très attaché à sa famille et pourtant sensible aux charmes féminins, sans aller bien au-delà de conter fleurette. J’ignorais qu’il faisait partie des grandes familles virginiennes et sa femme plus encore, liée qu’elle était à Washington, saisissant contraste avec Stonewall Jackson. Pour autant, son père impécunieux et son beau-père mauvais administrateur de ses biens lui laissèrent des finances en mauvais état, Lee se posant souvent la question du choix de l’armée, avec promotion lente et solde médiocre.
Il voyait dans l’esclavage un problème, essentiellement sur le plan religieux. Sans tomber dans une dichotomie radicale, Michael Korda décrit deux types de relations dans les Etats du Sud, celles des grandes plantations et celles dont se réclamaient les Virginiens dans leur majorité, en théorie empreints de paternalisme et opposés à la reprise de toute traite depuis l’Afrique. Lee faisait partie des plus modérés de cette époque, bien qu’il eût sévi après que trois esclaves se furent échappés avant d’être repris et, de ce qu’il semble, fouettés. Si sa famille ne possédait qu’une poignée d’esclaves, le leg de Custis, son beau-père, en amena 200, sources de difficultés parce que n’ayant jamais été administrés correctement. Conformément au testament de Custis, tous ces esclaves furent affranchis 5 ans après le leg, la plupart étant en toute hypothèse déjà en territoire contrôlé par l’Union. Entre autres anecdotes révélatrices du personnage, un ancien esclave noir était entré dans la maison où la famille de Lee était accueillie, pour annoncer son départ. Lee se leva pour aller serrer la main de l’homme et souhaiter que le ciel le bénisse. Difficile d’émettre des jugements purement en noir et blanc donc…
Le grand mérite de Michael Korda est de bien mettre en évidence les traits de caractère invariants qui firent de Lee un héro de la guerre du Mexique et un personnage emblématique pendant et après la guerre de sécession. Ingénieur de formation, sorti deuxième de la jeune école de Westpoint où les grands ouvrages de stratégie étaient rédigés en français, Napoléon oblige, Lee s’illustra par ses travaux de régulation du Mississipi autour de Saint Louis, et par ceux des forts de la côte Est. Le sobriquet dont il fut temporairement affublé en 1861-1862 (King of Spades, un jeu de mot sur le roi de pique / de la pelle) témoigne de son goût pour les fortifications, qui lui permettaient d’économiser ses troupes pour adopter une attitude aussi offensive que possible au point qu’il aurait choisi. Quels que furent les problèmes de coordination pendant la bataille des 7 jours en juin 1962, cette victoire opérationnelle n’aurait jamais été possible sans ces efforts de terrassement au sud du front alors que McClellan disposait d’une supériorité globale de presque 2 contre 1.
Le sens du mouvement est l’autre attribut majeur, avec recherche de l’effet de surprise. Ses ordres écrits étaient généralement précis et clairs, quoique souvent accompagnés de la mention «
if practicable », laissant bien de la latitude à ses officiers généraux et gâchant peut-être l’occasion de gagner à Gettysburg avec un mouvement plus vigoureux de son aile gauche au premier soir : «
Few commanding generals have ever given their subordinates more freedom », condition pour créer la surprise et source de confusion parfois. Sans doute Lee aurait-il gagné à se montrer plus directif. Cela n’était pas rendu évident avec son statut hybride en 1861-début 1862, sans compter avec la prétention de Jefferson Davis, président de la Confédération, d’assumer le rôle de général en chef.
S’il est une carence de cette biographie, c’est dans les relations avec l’autorité politique qu’on la trouvera, car elles auraient mérité d’être plus développées, notamment au regard de l’épouvantable logistique de l’armée confédérée. On n’en lira qu’avec plus d’intérêt les pages relatives à la politique dans l’ensemble bizarre que représentaient les Etats du Sud, la capacité des autorités ou de la presse à s’enticher de Beauregard ou de Johnston en oubliant le vrai architecte de leurs succès, avant que Lee s’impose comme leur grand général. Son aura militaire se doublait d’une stature, d’une tenue et d’une équanimité d’humeur qui forçaient d’autant plus l’admiration de la troupe que Lee partageait ses privations. Son retour à une carrière civile après 1865 est marqué par les même traits, ne témoignant aucun ressentiment à l’égard du Nord et de ses représentants et offrant un modèle de stoïcisme aux vaincus.
Bref Lee était un homme regardant ses idéaux vers le XVIIIème siècle de Washington, tout en faisant preuve d’une grande modernité à toutes les étapes de la vie : construction de forts, agencement du Mississipi, utilisation des chemins de fer pour des mouvements tactiques, tout cela est fort bien narré dans cette biographie.
Il est remarquable que Michael Korda ait aussi écrit une biographie de Grant, les personnages se ressemblant si peu en apparence. Il faut que j’écluse le stock de lectures en souffrance mais cela fera indubitablement partie de mes prochains achats.