Phil
Je cite ton message en entier car je le trouve très intéressant:
tu cadres bien la grande difficulté (voire le dilemme) à laquelle fait face un designer de wargames pour en faire à la fois un bon jeu et une simulation crédible non pas forcément dans les résultats mais dans la dynamique et dans le champ de la vraisemblance.
Citer:
Franchement, simuler correctement ce qui s'est passé est loin d'être évident. J'en veux pour preuve que, depuis 1940, on a passé son temps à relire l'événement et à en chercher les causes. On les connaît mieux aujourd'hui, mais leur dosage est difficile à estimer, comme pour beaucoup d'événements historiques importants (par exemple, les causes de la Révolution française). Cela me fait penser à des discussions sur les difficultés à simuler l'attaque chinoise en Corée : dans un cas comme dans l'autre, disons qu'il y a eu un gros jet de surprise réussi, mais à l'échelle stratégique.
Il faudrait pouvoir rendre l'indécision politique, les mauvais choix stratégiques, puis le chaos engendré par la percée - sachant que le joueur prend ses décisions seul. Du côté allemand, il y a eu aussi du chaos, avec des prises de risque inconsidérées de la part de certains officiers de terrain, mais ce chaos s'est révélé profitable.
Sachant que nos amis les wargamers sont au courant de l'histoire, ils ne répètent pas en général les erreurs du passé... Je lisais hier sur bgg une discussion au sujet de l'expédition de Sicile pendant la guerre du Péloponnèse. C'était dans le cadre de la critique du jeu de Columbia Athen and Sparta, comparé au jeu de GMT Hellens. Si on pense que l'expédition de Sicile est responsable de la défaite d'Athènes (ce qui est le cas de ceux qui disent que, sans elle, Athènes aurait gagné), aucun joueur athénien ne partira en Sicile. On se retrouvera avec trois possibilités :
1. Essayer d'attirer le joueur en Sicile d'une façon ou d'une autre par des avantages plus ou moins gamey (points de victoire... qui correspondent à on ne sait pas trop quoi) ;
2. Lui imposer à un certain moment de la partie d'allouer des ressources à une expédition qu'il n'a pas choisie ;
3. Ne rien faire et laisser les joueurs libres.
Et nous aurons droit alors à deux remarques classiques : "Ce jeu n'est pas historique, car il n'y a pas d'expédition de Sicile." / "Ce jeu n'est pas intéressant, car il est trop scripté".
On atteint les limites de la simulation à un moment ou à un autre, de toute façon, tant il est vrai qu'un événement historique ne se répète jamais (et donc l'histoire n'est pas une science, pour Aristote). Nous jouons à les répéter... donc cela différera de ce qui s'est passé : il me semble qu'ici, c'est plus une affaire de goût. Jusqu'à quel point supportons-nous un écart avec ce qui s'est produit ? Reproduire à l'identique, c'est ennuyeux (j'ai entendu cette critique sur GBOH : c'est tellement bien fait que tu te retrouves avec un résultat de la bataille qui est est exactement celui de l'Histoire), partir dans une autre dimension, ce n'est pas satisfaisant (mais certains s'amusent avec Cthulhu en Normandie). Là, les conditions historiques sont tellement uniques que nous risquons de toute façon de nous retrouver dans la seconde situation, à moins de forcer l'apparition de la première - et finalement, le mieux serait peut-être, comme dans le jeu Yalu, de commencer la partie une fois que la grosse surprise a eu lieu : ici, on pourrait commencer à jouer à partir du moment où la percée a déjà eu lieu.
Cela étant dit, chaque joueur peut avoir ses préférences:
Par exemple
Jouer la campagne de 1940 avec OCS, parce que la dynamique du système lui plait bien et qu'il veut y gouter sur cette campagne même si la dynamique du jeu s'écarte assez fortement de l'historique.
Et préférer la version OCS de TBL plutôt que la version GMT de Ritchie dans Victory in the west , ou celle de No retreat French front de Carl Paradis qui est à une autre échelle et est assisté par des cartes, ces deux dernières versions étant beaucoup plus réaliste historiquement.
Ce n'est pas mon cas, je veux trouver dans un wargame une logique historique, non pas un script des évènements qui ont eu lieu, mais retrouver dans chaque camp l'essence de ses forces et faiblesses, surtout pour une situation contemporaine.
Dans TBL on est carrément ailleurs, c'est du Canada dry, ça a la couleur (et même pas le goût ) de 1940, mais ce n'est pas 1940.
Pour un jeu relativement court, pourquoi pas ? Mais là , vu l'investissement financier et en temps...
Il me semble que TBL aurait du proposer quelque chose de plus crédible.
Le pouvait il ?
Je m'interroge.
Son fond de commerce c'est la logistique, or 1940 est une affaire de doctrine militaire et de surprise.
La surprise on peut la simuler assez facilement.
La doctrine (les alliés sont faits pour refaire 1915-1917, ainsi que l'infanterie allemande, les panzers eux sont faits pour la Blitzkrieg qui n'xiste pas encore dans les esprits des généraux alliés hormis dans celui de De Gaulle, très isolé dans la hiérarchie ) c'est une autre paire de manche !
Ritchie y parvient bien dans VITW (mais le jeu est assez long et un peu lourd), Carl Paradis aussi grace à son système (génial) de cartes (son jeu n'est toutefois pas un CDG),
mais OCS n'était pas outillé pour cela.
Il aurait fallu le redimensionner pour qu'il le puisse.
Mais le but d'une série comme OCS est d'adapter simplement une situation à un système déjà existant, pas l'inverse .
Pas de se taper un travail d'innovation.
Pourquoi le faire d'ailleurs ?
Le public est là, conquis d'avance, (captif ?) et prêt à s'insurger contre l'importun venant émettre un avis critique.